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les auteurs et le traducteur


Dermot BOLGER est né à Finglas, un faubourg nord de Dublin en 1959. Après avoir travaillé comme ouvrier d’usine, en particulier en Allemagne, puis comme assistant bibliothécaire, se consacre exclusivement à l’écriture depuis 1984. Très célèbre en Irlande, il a à son actif sept romans, neuf pièces publiées et plusieurs volumes de poèmes.

Sa première pièce, The Lament for Arthur Cleary (1989) [1], a reçu plusieurs récompenses : le prix Samuel Beckett, le prix Stuart Parker de la B.B.C. et une distinction spéciale au Festival d’Edimbourg. Il écrit en 1990 deux pièces en un acte : In High Germany filmée un peu plus tard pour la télévision irlandaise, et The Holy Ground qui lui vaut une seconde distinction au Festival d’Edimbourg. Ces deux pièces sont alors montées par le Gate Theatre de Dublin. The Passion of Jerome est sa quatrième pièce présentée par l’Abbey Theatre de Dublin sur la petite scène du Peacock Theatre. Elle vient à la suite de la comédie Blinded by the Light (1990), de One Last White Horse (1990) et de April Bright (1995) . En 1985 Bolger publie son premier roman Night Shift, suivi en 1987 de The Woman’s Daughter, puis du célèbre The Journey Home (1990), en français La Ville des Ténèbres (collection 10/18, 1996). Viennent ensuite Emily’s Shoes ( 1992) et Father’s Music ( 1997), en français La Musique du Père (10/18, 2000). Le dernier, publié en 1998, s’intitule Taking My Letters Back.

En 1997 et 1999 il a imaginé d’écrire en collaboration avec six autres romanciers irlandais célèbres deux romans portant le même titre de Finbar’s Hotel (Joelle Losfeld , 2000). Entre 1977 et 1992 il a été à la tête d’une maison d’édition progressiste, la Raven Arts Press.

Traduits en français, en allemand, en suédois, audacieux et controversés, véritables révolutions littéraires contre l’Irlande aveugle et conformiste, ses romans sont inventifs dans l’écriture, violents jusqu’à l’excessif, et se font l’image des banlieues cauchemardesques ; ils sont le témoignage des mutations vers un grand chaos moderne, le reflet d’une noirceur générale.

A une exception près, ses pièces sont tragiques et violentes elles aussi. Bolger définit son écriture pour la scène comme "droit fil de ses expériences destinées à trouver sur scène, par l’expression des émotions et de la clairvoyance, un contexte et une langue du quotidien". Le jeu des interférences et de la cohabitation du présent et du passé s’y poursuit poétiquement, signe majeur de l’Irlande d’aujourd’hui. Ses pièces ont été jouées en Irlande, en Grande-Bretagne, aux Etats-Unis, en Allemagne et en France.

A ce jour Dermot Bolger vient de terminer un roman : The Temptation et a vu jouer au printemps 2000 sa dernière pièce en un acte Consenting Adults. Alors même que ses pièces commencent à être jouées hors d’Irlande, par exemple au Portugal, en France et en Allemagne.


Est né en Iran, dans la région montagneuse de Kermanshah.

A 16 ans, c’est le choc. Passionné de littérature, il vient d’écrire un petit poème en hommage à la poétesse Forough Farrokhzad, quand il est arrêté et passé à tabac par la Savak. C’est une révélation : il se sent fort comme Hercule seul face à cette dizaine de policiers qui essaient de le persuader qu’il a un plan contre le Shah. Quelle histoire pour un petit poème ! Shahryari prend conscience du pouvoir des mots.

C’est l’entrée en politique, l’entrée en résistance, un combat, où la connaissance apparaît comme une arme essentielle. Le jeune Shahryari lit beaucoup, les classiques et aussi les livres interdits – la plupart des livres philosophiques et politiques le sont. Ils circulent sous le manteau. Leur petit format et leur impression sur du papier cigarette en facilitent la diffusion. On lit les livres vite, de façon efficace, pour être capable d’en faire partager la substantifique moelle aux autres. C’est une discipline et une rigueur de tous les instants.

Après le lycée, il intègre la Faculté des Arts Dramatiques de l’Université de Téhéran. Calquée sur le modèle britannique, ce n’est pas le pire des vestiges du colonialisme. La formation est solide. Histoire du théâtre et analyse systématique des grands auteurs de théâtre, d’Eschyle à Brecht en passant par Shakespeare bien entendu…

Avant de faire sa première mise en scène d’une œuvre sur scène, l’étudiant doit en faire plusieurs sur papier. Il doit, par écrit, dessiner tous les mouvements des personnages, les analyser, les décortiquer, les justifier… La première mise en scène de Shahryari sur papier, Don Carlos de Schiller.

Aujourd’hui le travail de Shahryari reste empreint de cette approche artisanale : il « dessine » sa mise en scène comme une miniature persane. Il dicte à l’acteur tous ses faits et gestes. Cela exige du comédien une grande disponibilité et une grande confiance : il s’abandonne, il essaie de faire le mouvement demandé très précisément en cherchant peu à peu à l’habiter, tissant ainsi la vie de son personnage. Pour Shahryari, l’acteur est celui qui « réagit », qui ne dit jamais « non » et qui essaie… Et plus il est ouvert à cette exploration, plus Shahryari le pousse à peaufiner la justesse de son personnage. Sa mise en scène, si elle est précise, n’est pas figée. Le texte lui-même peut évoluer jusqu’à la première représentation. Tout est en chantier jusqu’à la dernière minute. Il ne fait presque jamais de filage. Et cela angoisse souvent les comédiens…

En ce qui concerne sa propre formation d’acteur, Shahryari fonde avec d’autres acteurs un centre de recherche où ils expérimentent les différentes écoles du jeu de l’acteur, dont Stanislavski. Il s’y fait « plus royaliste que le roi », allant jusqu’à pousser le perfectionnisme, pour un exercice de mémoire sensorielle, à retourner compter les briques de la maison de son enfance…

Le Doyen de la Faculté a gardé d’excellents contacts à Londres où il a étudié, et fait venir à Téhéran la plupart des grands hommes de théâtre de l’époque : Eugène Ionesco, Grotowski, Sir Lawrence Olivier, Marcel Marceau, Otpaldat...

Du passage de Shahryari en ses murs, l’Université se souvient : les premières grèves et la transformation d’une salle en vraie salle de spectacles. L’ambiance est électrique. Tout est prétexte à contestation mais la contestation n’est pas gratuite. Il faut être très prudent. Pour une caricature du Shah sur le mur d’une des salles de répétitions, plusieurs des camarades de Shahryari passeront neuf ans en prison ! On vit sur le fil du rasoir… La Savak interpelle, arrête, torture,…

Shahryari et ses amis utilisent leur seul arme : ils montent des pièces de théâtre.

En 79, c’est la révolution… qui tourne mal. Entré en clandestinité, Shahryari est arrêté, torturé, soumis à plusieurs reprises au simulacre de fusillade. Il s’évade et organise son départ d’Iran… Le périple est long et plein de péripéties. C’est la période caméléon de Shahryari, tant il arrive à se fondre à son environnement. A Karachi, on dirait un Pakistanais : silhouette amaigrie, teint foncé, épaisse moustache, gros turban...

Refoulé une première fois à Roissy, c’est finalement, après un bref séjour en Espagne, en franchissant les Pyrénées, que Shahryari entre en France. Dans une ville de la banlieue parisienne, il rejoint les intellectuels iraniens en exil qui tentent de s’organiser. A cette époque il vit toujours dans la clandestinité.

Son retour en Iran est impossible. Il y est condamné à mort. Sa santé est défaillante. La résistance a du mal à s’organiser. Accompagné par une amie franco-persane qui lui sert d’interprète, Shahryari se rend un beau jour au commissariat du 14ième et demande l’asile politique.

Pris en charge par l’Association France Terre d’Asile, il est soigné à l’Hôpital de la Pitié Salpetrière, avant de se retrouver dans un foyer Sonacotra à Saint-Gratien. Et c’est là qu’il reçoit ses premiers cours de français « Je m’appelle Kazem et toi… »

Un peu plus tard, il loue une petite chambre près du jardin des plantes. C’est l’époque des vaches maigres… Shahryari est engagé comme réceptionniste de nuit dans un hôtel. Le premier soir, le patron est mécontent de le voir débarquer avec une valise. Il s’imagine qu’il a amené ses effets personnels pour dormir ! Il est surpris de le voir sortir de sa valise des livres, des dictionnaires et le Bescherelle conjugaison.

Car Shahryari, du jour où il a décidé de rester en France, s’est mis très sérieusement à l’apprentissage du français. Sur la porte de sa chambre de bonnes, il a installé une petite pancarte indiquant les heures auxquelles il reçoit ses amis, ¼ d’heure, pas plus, à l’heure du thé. Le reste du temps, il travaille avec acharnement. Il est deux livres français qu’il affectionne particulièrement depuis sa jeunesse : « Jean-Christophe » de Romain Rolland et « Le Petit Prince » d’Antoine de Saint-Exupéry, qu’il connaît presque par cœur en persan. Il s’en procure la version française… et grâce à sa volonté et son amour de la littérature, progresse rapidement. Très vite (1986) il passe son DEA d’Etudes théâtrales (Sorbonne Paris III).

Dans les métiers du théâtre, il est coutume de dire qu’il vaut mieux ne pas attendre que l’on vienne nous chercher ! La maxime s’applique d’autant mieux à Shahryari qu’ici en France, il n’est l’enfant d’aucun terroir. « Nous voilà exilés en France, les Français sont gentils, ils nous font un sourire et ils pensent "Archaïques". Au bureau de l’A.N.P.E., le conseiller de l’agence me demande des certificats au sujet de mon métier, je lui fais un sourire et je pense "Prosaïque". [2]

Kazem souhaite rencontrer les hommes de théâtre français mais ce n’est pas facile. Le premier à lui ouvrir ses portes est un autre étranger à Paris, Andreas Voutsinas. Il est aussi une rencontre dont Shahryari garde le souvenir ébloui, celle d’Antoine Vitez…

Naturalisé français depuis, Shahryari poursuit avec ténacité son parcours de poète, de dramaturge et de metteur en scène.

Il dirige aujourd’hui les Collections “Théâtre des 5 Continents” et “Création/Réel” aux Editions L’Harmattan.

Créant son propre outil de travail, il a transformé, de ses propres mains, de 93 à 95, un local livré brut de béton par l’OPAC de Paris dans une cité du 19ème arrondissement en une salle de spectacles. Plus qu’un simple Théâtre, l’Art Studio Théâtre est devenu une sorte de laboratoire de création dramatique dont la vocation est de s’ouvrir aux auteurs vivants et de créer des textes pour nous aider à penser notre monde Concevant la poésie et le théâtre comme des outils pour la vie, Shahryari est un homme de terrain. Il mène des ateliers d’écriture et de théâtre pour les collégiens (et leurs parents !), les lycéens de la région parisienne, les universitaires, les enseignants et aussi dans le milieu du travail.

Dans ses aventures théâtrales, Shahryari est tour à tour dramaturge, metteur en scène, comédien, scénographe, costumier, maquilleur… mais aussi électricien ou charpentier lorsqu’il s’agit d’adapter l’espace aux besoins de la mise en scène, n’hésitant pas à déconstruire pour reconstruire un nouveau rapport entre la scène et la salle, afin de plonger le spectateur dans l’univers qu’il crée.


A l’arrivée, un « produit atypique ». On se régale d’un théâtre inventif, original, accessible à un large public et tellement vivant. De fait, l’Art Studio Théâtre attire de plus en plus la curiosité des professionnels du spectacle, et suscite l’intérêt de la presse excitée à la perspective de quitter les sentiers battus d’un certain théâtre contemporain…


Ancien élève de l’Ecole Normale Supérieure de Saint-Cloud, et spécialiste du théâtre irlandais contemporain, E.J.DUMAY est l’auteur d’une thèse d’Etat sur Le théâtre de Sean O’CASEY, réalité, rêve et révolution. Membre de la Maison Antoine VITEZ et de la Société Française d’Etudes Irlandaises, il a traduit des œuvres de Tom KILROY, Tom MURPHY et Sebastian BARRY, ainsi que cinq pièces de Dermot BOLGER : La déploration d’Arthur Cleary, L’Harmattan 2000, Prodige à Ballymun, L’Harmattan 2002, Ombre et lumière d’Avril, L’Harmattan 2003, Messagerie noire, inédite, La cavale blanche, inédite. Il a participé à une anthologie du théâtre irlandais contemporain ( Presses Universitaires de Caen, 1998) et écrit de nombreux articles critiques sur les auteurs dramatiques irlandais d’aujourd’hui. Il travaille actuellement à la traduction de la pièce de S.BARRY White Woman Street et à un projet d’écriture avec BOLGER et SHAHRYARI.


[1« The Lament for Arthur Cleary », en français « La déploration d’Arthur Cleary » a été créée en France en novembre 1998 dans la traduction d’E-J DUMAY et publiée aux Editions L’Harmattan, Collection Théâtre des 5 Continents, 2000

[2Extrait du poème « Exil » dans « Le Voyage l’Emporte », Kazem Shahryari, collection Poésie des 5 Continents, L’Harmattan, Paris 1995