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Une fratrie d’enfer
A peine entré dans la petite salle de l’Art Studio Théâtre, le public se retrouve happé par un tourbillon.
Celui mené tambour battant par un couple plutôt atypique : Josey l’idiot et Mick le raté. Un intense huis clos entre deux frères, dans la solitude d’une ferme baignée de pluie et de boue, du côté de Cork, où l’Irlandais Sebastian Barry, a placé ses personnages, constamment ballottés entre souvenirs et réalité, fiction et frustrations.
Quand la pièce débute, c’est déjà la fin. Le doux dingue, dans son présent éternellement recommencé, joue aux cow-boys et aux indiens avec un frangin au bout du rouleau à force de ruminer ses échecs. Des jeux d’enfants pour vieillards aux cheveux grisonnants qui invoquent dans leurs délires les films des Marx Brothers, les femmes croisées et jamais possédées, et les fantômes omniprésents de la mère et du père. L’eau, la tempête sur un lac, un poids dur dans la poitrine du père, un chien mort pour avoir été conduit par l’imbécile sur les pentes trop abruptes des montagnes, des frères de combat dans les commissariats… La grande histoire file comme le vent sur celle, plus intime, de ces deux-là, pleine de non-dits, d’ombres et de remords qui en voilent les contours. Rien d’oppressant pourtant, car la poésie et la tendresse affleurent de cette étrange fratrie.
Kazem Shahryari, comme à l’accoutumée, a remanié le texte original pour en retirer une fusion de sentiments intenses, portés par des hommes trop grands ou trop petits pour leur histoire. Celle qui en appelle à la famille, à la mémoire et à l’amour, édifiée en autant de strates superposées et entremêlées, qui caractérise l’univers de ce metteur en scène un peu prestidigitateur. Mêler avec maestria passé, présent, rêve et réel, sur un même plateau, est devenu sa marque de fabrique. Tantôt en faisant cohabiter deux scènes avec dialogues superposés, tantôt en utilisant la profondeur de la scène, ou encore en usant de la vidéo. L’espace scénique ou verbal n’est jamais vide. On pense aux constructions polyphoniques de Faulkner ou de Lobo Antunes, qui font parler plusieurs voix dans leurs romans.
C’est foisonnant, construit comme une formidable mosaïque dans laquelle les acteurs viennent s’insérer, magnifiquement dirigés. Saluons le très grand talent des deux comédiens : Jacques Albaret pour son jeu tout en subtilité et Elisabeth Commelin, pour son interprétation tout en charme et légèreté de la difficile partition de l’idiot de la famille.
Sandrine Martinez (06/06/2006)
Terre secrète, d’après Les Fistons, de Sebastian Barry, adapté et mis en scène par Kazem Shahryari, à l’Art Studio Théâtre : 120 bis, rue Haxo, Paris 19e. M° Porte de Pantin ou Télégraphe. Tél : 01.42.45.73.25.
Le mardi, mercredi, vendredi et samedi, à 20h30, jusqu’au 5 juillet. Tarifs : 12 et 9 €. Durée : 1h15.
Le texte de la pièce sera publié en octobre aux éditions L’Harmattan, collection Théâtre des Cinq Continents.
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