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Intempestives

Un automne et deux approches de la simplicité au théâtre

La pièce, L’automne précoce, créée en novembre 2009 au Centre culturel Jean-Houdremont de La Courneuve, est riche de plusieurs thèmes. Le thème central est celui du mariage forcé, celui de Leïla, qui se termine tragiquement, par sa mort comme par celle de son mari désigné, lui-même victime. Mais c’est aussi celui de l’absence de communication dans de grands ensembles où règnent solitude et misère. A cet égard, la relation de la concierge, acariâtre et peut–être raciste et d’Africa, qui connaît mieux que quiconque la mémoire d’un espace qui pourtant n’est pas celui de sa naissance, et son évolution vers plus de compréhension et de sentiments est d’une grande force. Et puis, en ce monde dominé par la négation d’autrui et la mort, il y a l’enfant à venir de Lola, le cri de la naissance, qui apporte et fait vivre l’espérance.

Pour autant la scénographie est réduite à l’essentiel. Mais l’auteur et metteur en scène, Kazem Shahryari, sans doute confronté à un cadre budgétaire, n’a pas, pour autant, choisi de retenir l’option de mettre en scène l’espace du lieu théâtral, en tant que tel. C’est un paravent mobile qui signifiera, à volonté, l’espace de l’âge adulte et de l’enfance, celui de la mort et de la vie, de l’injustice face à l’idéal. De même quelques meubles de carton suffiront pour habiter l’espace. Et enfin tout se dit entre ombre et lumière. Ceci alors qu’un clivage « hors les murs / dans les murs » donne un sens dramatique à la pièce. « Dans les murs », Leïla, entend vivre son rêve, hors cet appartement d’une tour de banlieue. Son monde est l’arabesque de la danse, le saut salvateur de l’intimité sentimentale qui ne demande qu’à s’assouvir ailleurs. Mais la famille, aimante assurément, le père affectueux, n’en veulent pas moins le respect d’une pratique : le mariage forcé. Durant dix jours, l’impossible dialogue a lieu, entre Leïla et son mari imposé et lui-même perdu : et entre eux, le simple paravent, à son tour figurant une armoire et l’armoire l’emmurement de la vie, jusqu’à la mort de Leïla et le suicide de Moa, l’époux. Qui est coupable ? Au nom de la convention, l’intériorité de toutes et tous est niée, elle n’est que l’extériorité obligée de la norme. Il en est ainsi tant de la vie éteinte de la gardienne de l’immeuble que d’Africa. Ils se rencontreront, dès lors que s’efface l’illusion des rôles sociaux obligés.

C’est dire la rencontre de la thématique de la pièce et de la scénographie, entre extérieur et intérieur, dans le dénuement de l’espace théâtral. Dès lors, c’est la troupe qui porte la pièce, en-deçà de toute individualité. Aussi, même si Georgia Azoulay, qui est Leïla, danse et joue, porte le dramatisme de la pièce, celui du rêve sacrifié, c’est au sein d’une troupe soudée. Lélé Matelo, présence épisodique, n’en est pas moins comme le leitmotiv de la pièce, entre lucidité et déraison, solitude commune. De la rupture à la suture avec ces destins foudroyés, mais la vie apparaît à la fin, avec l’enfant de Lola, miracle du cri premier, à quoi répond : « ti ta ta ta tatata », en ce morse qu’énonce Africa : « amour/ pour ». Alors apparaît combien les murs de la convention doivent s’effondrer, voile d’illusion et d’incompréhension, pour retrouver la « suture » d’amour. L’on perçoit d’autant mieux l’efficace de la scénographie ici retenue, adéquation directe et symbole à la fois du passage de la rupture, née de la convention, à la libre « suture ». La polyphonie des vies et des voix se retrouve, pour peu que l’on en veuille bien connaître le « code », qui est mémoire et sentiments transmués en et par l’amour… Le cri intérieur est devenu fraternité.

La fameuse pièce de Sophocle, Philoctète, a été donnée à l’Odéon, à l’automne 2009. Le metteur en scène semble avoir opté pour la simplicité la plus grande, au plan scénographique : utiliser l’Odéon, tel quel. Or une difficulté particulière tient à l’apparition d’Hercule à la fin de la pièce. Dans la préface à sa propre traduction, publiée en 1781, La Harpe répondait à cette classique objection : « on a regardé comme un défaut, du moins pour nous, l’ombre d’Hercule, qui produit le dénouement… quant à moi, j’ose croire que ce dénouement réussirait parmi nous, comme il a réussi chez les Grecs ». Il faut croire que la difficulté demeure. En effet, cette apparition d’un Hercule de music hall, en jean élimé et réduit, lumière aidant, à des effets de pectoraux, laissait fort dubitatif, quant à sa légitimité à imposer le dénouement. Pour faire fléchir un Philoctète inflexible, il fallait une apparition, quitte à la montrer plus symbolique que d’un réalisme seulement décoratif. Plus globalement, le dispositif scénographique faisant du rideau de fer de l’Odéon la frontière entre le monde de Philoctète et celui d’Ulysse, est certes le plus simple, mais au point de n’avoir pas la moindre puissance d’évocation. Le lieu théâtral n’est pas le théâtre. Si l’on constate une diction académique de nombre d’acteurs (sans doute exigée par le metteur en scène, Christian Schiaretti) ce spectacle, dès lors, repose, sur les épaules du détenteur de l’arc d’Hercule, ce Philoctète incarné par Laurent Terzieff. A lui seul, il est toute la pièce.

Le problème ici posé est désormais courant dans la mise en scène contemporaine. Le dépouillement de la mise en scène et l’importance des lumières, prônés il y a un siècle par Appia, Gordon Craig comme Copeau, sont devenus lieux communs. Du moins est-ce ainsi que Philoctète a été monté avec la facilité de croire qu’une vêture courante (jean et tee-shirt) garantirait la « modernité » du propos. Or si l’on veut qu’une tradition, même la plus vivace, ne devienne une « mauvaise habitude » (comme Malher entendait la référence à la « tradition »), il y faut un renouvellement. C’est ce qu’a réussi Shahryari et sans doute son combat contre la « tradition » a fait se rencontrer, en cette pièce, celui tant contre la sclérose sociale (le mariage forcé) que la sclérose artistique.

Gérard da Silva, revue « Intempestives » décembre 2009