Il faut aller voir cette pièce de Kazem Shahryari. Kazem sait de quoi il parle. L’exil, la lutte contre les dictatures, contre le fascisme, il connaît. La tragédie de ces vies il la connaît, il sait nous la faire partager. Et la tragédie - tout court - il sait la mettre en scène. L’unité de temps, l’unité de lieu, sont ici respectées de façon originale. Mais ce que vous ne savez pas est magique.
Kazem peut transformer la tragédie en un hymne au bonheur. Marque de confiance malgré tout, en l’humanité. Nous avons tant besoin d’y croire. Oui, l’unité du temps est originale car les tableaux successifs de cette pièce mélangent à la fois les époques et les générations. Mais la permanence vient de la même situation d’exil et de résistance à l’oppression que tous ces personnages vivent dans « leur » temps. L’unité de lieu est tout aussi originale. Il s’agit de chambres elles aussi semblables et différentes selon leurs occupants qui tous cherchent à la fois à comprendre le sens de ce qu’ils vivent pour le transmettre aux autres par-delà le temps. La chambre est un lieu bien précaire dans laquelle la liberté se construit toujours en danger. Il suffit d’un instant. Oui, un instant seulement et tout bascule dans la mort. Et la reproduction de ce lieu à l’identique dans trois moments différents de trois générations de la même famille est si prégnante qu’il est possible de sentir la présence de celui qui était là quelques jours avant, ou quelques années, avant le nouveau venu. Cette chambre refuge était déjà au cœur d’une autre pièce de Kazem Shahryari coécrite avec Dermot Bolger en 2004 qui s’intitulait « Départ et arrivée » qui liait la destinée de deux jeunes femmes irlandaise et kurde à 40 ans d’intervalle qui faisaient halte dans une même chambre d’hôtel à Dublin pour tenter de construire une vie meilleure que dans les pays qu’elles avaient fuis. Mais pour moi toute l’originalité de cette pièce tient dans la place que le savoir y occupe ; le savoir, la culture, la connaissance comme seuls véritables moyens de la liberté. Le livre apporte une vraie libération pour celui qui refuse de se soumettre aux ordres. Et la femme de Mara-Z apprendra la lecture pour comprendre et poursuivre le chemin de son compagnon. Et comment ne pas croire que c’est cette soif de savoir qui illumine le visage de Marat-Z et nous communique la joie de vivre au milieu de la tragédie. Mehdi Chout qui joue ce personnage a un sourire incroyable qu’il réserve uniquement à son personnage. Je lui ai dit combien je trouvais curieux qu’au moment du salut ce sourire ait disparu et que même ensuite en discutant avec lui, son sourire exprimait de façon polie et certes agréable que l’échange l’intéressait et seulement cela. Le sourire qu’il donne à son personnage est tout différent, il vient de l’intérieur, du plus profond de lui-même, loin de toute interaction avec l’extérieur, pour irradier l’ensemble de celles et ceux qui sont sur scène. Un sourire qui ressemble à l’éclat des notes de Debussy que l’on entend comme un murmure nous parler du « clair de lune » dont la lumière triomphe des nuits les plus sombres. C’est étrange de sortir d’une pièce qui nous parle de l’exil, de la dictature, de l’instant qui peut conduire à la mort avec le sentiment que le bonheur existe au creux même de cette tragédie. Nous vivons un temps où il serait important de considérer que les réfugiés – que l’on ne confondra pas avec les exilés – sont avant tout issus de cette humanité faite monde et que nous ne sommes qu’une toute petite partie de cette humanité qu’il nous faut embrasser toute entière. J’ai pensé à ce poème de Kazem Shahryari dont je cite cet extrait :
Pour un brin de réel
Non pas de vérité
Un brin de réalité même salie
Par tout âge
La prison et ses chaînes
Et même l’exil et ses peines
Deviennent des foyers libérateurs
C’est devenu une tradition
Je m’apaise durant la nuit
Territoires Exilés Tara-B Nouvelle création de Kazem Shahryari
Jusqu’au 15 décembre 2018 Les jeudis, vendredis et samedis à 20h30
Art Studio Théâtre - 120 bis rue Haxo Paris 75019 (Métro Télégraphe ou Porte des Lilas - ligne 11)