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Par Laurent Klajnbaum
Opéra pour que le faible résiste
Par Laurent Klajnbaum
13 avril 2016
Kazem Shahryari, le poète, nous raconte à chaque fois notre monde. Avec sa nouvelle mise en scène, il fouille tous les territoires sensibles, ceux du théâtre et de notre planète jusqu’à celui de son propre corps, pour trouver la matière à nous interroger sur l’état de nos sociétés et des rapports de force qui s’y exercent.
Kazem choisit toujours le vrai, même ténu, maladroit et fragile, à l’efficace ; le pauvre au riche ; la simplicité, non pas contre l’érudition, mais contre la gnose ; les combattants aux dignitaires … Et nous sommes au moment où le très officiel rapport Oxfam annonce, ce mois de janvier, que le patrimoine des 1 % les plus riches de l’humanité a dépassé, l’année dernière, celui des 99 %. Comment de telles inégalités peuvent-elles être acceptées ? Comment cette domination peut-elle s’exercer ? Quels en sont les ressorts, collectifs et intimes, physiques et de pensée ? Comment changer le monde ? Autant de motifs qui traversent la scène de l’Art Studio Théâtre.
Pour enquêter, Kazem prend par la main un de ses nombreux frères d’arme, Bertolt Brecht. Avouons que cette main est bienvenue pour balayer à la fois la poussière ou les paillettes dont on recouvre bien souvent le pauvre BB. Il saisit sa pièce L’Exception et la Règle pour, comme à son habitude, l’éclater, la réécrire par morceaux, la recomposer. Gageons que Brecht lui-même n’aurait rien trouvé à redire à cette méthode, lui qui avait écrit cette œuvre, comme ses autres Lehrstück, non pour être jouée mais expérimentée, le théâtre comme outil poétique d’éducation populaire, en sorte.
La fable de L’Exception et la Règle est le centre de la pièce. Tout y est : haine et justice de classe, de race, peur de l’étranger, violence du pouvoir, consentement des dominés à l’ordre existant, séparation des faibles, le globe comme lieu universel d’exploitation, la recherche du profit vendue comme cause humanitaire.. En écrivant cette pièce en 1929, Brecht avait choisi la concession pétrolière comme moteur du salaud. A lire les profits de Total and Co, les marées noires provoquées par le commerce sans scrupules, les guerres et les exodes que l’or noir engendre… on ne peut pas dire que cette figure de la rapacité ait perdu sa pertinence. Malgré tous les appareils du capital et en premier lieu la police et la justice, la peur de la racaille, à la limite de la paranoïa, se lit dans les yeux du salaud. L’inversion du rapport de force, malgré toutes les tractations, est à portée de main, alors… La question ne sera pas résolue par la fable. Peut-être, tous les Debouts de la Place de la République et d’ailleurs, comme les Marchants Bastille/Nation sont-ils en train d’y répondre un peu ?
Mais, Opéra pour que le faible résiste ce n’est pas que L’Exception et la Règle. C’est aussi l’histoire de Kazem, le chemin de l’exil, bordé de guerres, de batailles et de rages, le départ et l’arrivée, la générosité sans retours, un peuple de fantômes qui l’accompagne. C’est aussi des paysages, géographiques et humains, que la scène, les comédiens et les musiciens construisent avec nous. C’est, à la fois, un Opéra comme dit le dictionnaire : Poème dramatique mis en musique, composé de récitatifs, de chants et de danses, et un Opéra comme dit l’étymologie, c’est à dire l’activité du travailleur . Opéra pour que le faible résiste c’est encore un chœur humain, c’est à dire un collectif qui ne gomme pas les individus, que les comédiens, leurs chants et leurs danses nous invitent à partager puis à rejoindre. Si la fable questionne, avec la mise en scène de Kazem Shahryari, la forme apporte des réponses, le sensible n’est pas le plus long chemin pour comprendre.
C’est une évidence, Kazem est généreux. S’il y avait besoin de preuve, l’Opéra s’ouvre par le don au public du corps du poète pour une métaphore destinée à mettre un peu de lumière dans l’obscurité du temps. Comme avec un anneau de Moebius, la boucle est bouclée, dès le départ, vers l’infini et la poésie rejoint la politique comme le théâtre rejoint la vie.