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Opéra pour que le faible résiste
Par Laurent Grisel
Opéra pour que le faible résiste
Par Laurent Grisel
Quand nous entrons dans la salle les acteurs sont déjà en mouvement, ils vont en tous sens mais ne se heurtent pas. Leurs pas et leurs paroles sont scandés. Nous sommes plein d’énergie, nous occupons toute la scène, nous allons où ? En Europe. Où il n’y a ni bombardiers ni massacres, du bonheur sûrement. C’est ce point de vue qui est donné, et tenu tout au long de la pièce, en faisant l’unité : celui de ceux qui marchent dans l’espoir d’un apaisement. Et ce qui nous est donné d’un seul coup, par ce mouvement et les musiciens qui l’accompagnent, tous ensemble dans une même scansion, c’est la troupe entière, le collectif des acteurs, le metteur en scène est l’un d’entre eux et joue avec eux. Kazem Shahryari s’avance vers nous, que se passe-t-il quand l’homme est en lutte contre lui-même, à l’image de ces maladies auto-immunes qui le détruisent ? Mais nous sommes au théâtre, un lieu où les acteurs aiment mourir d’une mort en scène, ce serait la plus belle scène, il en tue un, ah oui, c’est vrai, il le relève, on est soulagés, on rit, quel bonheur, et c’est encore plus vrai : que nous pouvons jouer une mort plusieurs fois pour mieux la comprendre, peut-être l’éviter une prochaine fois.
Et de nouveau un désordre nombreux. Nous avons devant nous une foule d’individus qui se téléphonent dans l’urgence, dans l’anxiété, on se croirait dans la rue, ils sont liés, mais de loin, que pourrait-il résulter de cela ? Une force unie ? Il ne peut y avoir de délibération tant que nous sommes dans des relations seul à seul.
Et nous entrons dans le cœur de cet opéra : une reprise de L’exception et la règle de Bertolt Brecht. Un homme d’affaires traverse un désert au plus vite, son concurrent à ses trousses, il faut arriver le premier à un gisement de pétrole. Avec lui, un porteur et un guide. Le porteur est Atlas : il porte la lourde planète bleue sur son dos. L’homme d’affaires est seul contre tous. De sa méfiance, de son hostilité sortent tous les malheurs. Il est seul avec deux ouvriers, le rapport de forces est à deux contre un, il se sépare de son guide avant la dernière traversée. Il est seul avec son porteur maintenant, mais il dépend de lui, il en a peur. Il le tuera, prenant une gourde d’eau pour une pierre : un mirage non pas provoqué par la soif mais par les délires de possessions-dépossession. Il y aura un procès que la famille du porteur perdra, en dépit de la preuve apportée par le guide. Car le juge le sait, l’entraide est l’exception, la règle c’est la guerre de chacun contre tous, la loi du plus fort : le patron est légitime, il est toujours attaqué, il est en état de légitime défense, toujours.
Le monde livré aux seuls doit s’effondrer, toujours.
Il n’y a pas eu union des faibles au plus fort du conflit, c’est ce qui a manqué, peut-être, la pièce de Brecht semble l’appeler, le collectif est comme l’envers non-dit de son récit.
Mais la marche qui nous a accueillis dans le théâtre ne s’est pas arrêtée, elle s’est poursuivie dans L’exception et la règle, elle a continué car nombreux sont ceux qui ont traversé le désert malgré meurtres et malheurs, qui ont franchi les rivières, les fleuves, la Méditerranée, les surveillances, ils sont là devant nous les exilés, tous les acteurs et aussi les musiciens, en vie irrésistible ils se présentent un à un, nous donnent un bout de leur histoire, de leurs désirs de vie.
Seuls, séparés, à nouveau ?
Non, ils se donnent la main, s’avancent vers nous, franchissant la frontière invisible entre scène et spectateurs, nous nous levons, les rejoignons, nous entrons dans la même musique, c’est très joyeux, une délivrance, ce collectif que les trois parties de la pièce appelaient, en négatif, en creux, est constitué, c’est une danse.
Laurent Grisel
Opéra pour que le faible résiste
texte et mise en scène de Kazem Shahryari
à l’Art Studio théâtre, 120 bis rue Haxo, 75019
avec Kader Afroun, Soraya Alandaloussi, Enzo Barbieri, Dominique Darcel, Fred Mamar Fortas, Patrick Hamel, Armane Shahryari et Kazem Shahryari
à 20h30
prochaines dates
Du 30 septembre au 04 novembre 2016
Tous les jeudi, vendredi et samedi à 20h30
mediation@artstudiotheatre.org
http://artstudiotheatre.org/-Piece-de-l-annee-OPERA-POUR-QUE-LE-FAIBLE-RESISTE-.html