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N’être rien pour Naître au monde
Kazem Shahryari met en scène deux jeunes femmes qui deviennent pleinement adultes et elles-mêmes en gagnant leur liberté.
Avec Départ et Arrivée, pièce écrite à quatre mains avec le dramaturge irlandais Dermot Bolger, Kazem Shahryari nous offre une nouvelle fois, en son Art studio théâtre (1), un bel hymne à la liberté et à l’indépendance, et surtout deux beaux portraits de femmes.
Dublin 1963 et 2003, à quarante ans d’intervalle, dans la même chambre d’hôtel minable, Maureen, l’Irlandaise (Lydie Marsan), et Susan, la Kurde (Marilyne Lagrafeuil), en transit pour un ailleurs, racontent leur histoire, la même. Toutes deux enceintes, elles ont quitté leur village d’origine. L’une pour éviter le couvent des sueurs où elle devra travailler sans rémunération jusqu’à son accouchement et l’enlèvement de son enfant « recueilli » par une riche famille « comme il faut » ; l’autre pour éviter une nouvelle errance, son village devant disparaître sous les eaux d’un barrage construit par l’État turc qui déjà l’empêche de parler sa langue. Dans cette (double) chambre dublinoise, et décor unique, simplement identifiée par le même lit, une fois à gauche puis à droite de la scène, parlant d’une même voix, se répondant, se complétant, elles font revivre leurs familles, leurs souvenirs, leurs fiancés, leurs espoirs. Toutes deux, jusqu’il y a peu, heureuses, simplement, dans leur village, entourées de parents aimants, fascinées, un peu prisonnières aussi, du passé (guerre d’indépendance de l’Irlande, lutte sans fin pour résister à l’hégémonie turque).
À leurs voix répondent celles de la mère de Maureen (Élisabeth Commelin) qui, jeune fille, n’a pas osé le grand départ qu’on lui proposait - pour Boston ; celle des pères (Jacques Roèhrich) à qui leur statut d’homme empêche d’exprimer toute leur tendresse envers leurs filles, toutes deux benjamines d’une grande fratrie. Et enfin, catalyseur de leur volonté d’indépendance, leurs fiancés, Michael et Védat, tous deux joués par Sacha Petronijevic. Volonté d’indépendance que les deux jeunes filles, fortes de leur fragilité et de leur innocence, chacune à sa façon, tour à tour solaires ou plus graves, vont réaliser quand bien même leurs fiancés disparaîtront tragiquement.
À part les deux lits, une porte, quelques gradins, une i bande-son avec les oiseaux qui pépient et l’eau des torrents qui coule, et le noir qui permet t à l’imagination de « voir » en toute liberté les villages, le petit pont, la forêt (écrin des amours), la soute du cargo ou le compartiment du train qui emportent vers cette liberté, crainte mais tant espérée, pour elles, pour leurs enfants. Pour ces derniers, chacune a choisi de toute sa volonté, pour ne pas rester prisonnières du passé, de la tradition, de « n’être rien » dans un nouveau monde « pour pouvoir y être soi-même ». Ainsi, en même temps que leurs enfants, elles veulent naître à nouveau.
Quand,-plusieurs fois applaudis, les comédiens (ne) s’en vont pas), la lumière revenue, on reste de tout coeur avec elles.
Jean-Paul Debest