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L’Humanité - 2007

La mémoire des femmes ou l’avenir

Théâtre. Avec Couleurs de femmes, l’été, Kazem Shahryari évoque la nécessaire transmission des histoires familiales pour naître à la vie.
Avant d’être pièce, Couleur de femmes, l’été, de Kazem Shahryari, fut rencontres avec des femmes de Vitry-sur-Seine, où le metteur en scène est en résidence, de Roumanie et de Hongrie. De ces échanges, qui n’étaient pas collectage de paroles mais imprégnation poétique « pour qu’à un moment donné quelque chose me fasse vibrer et me reste », l’auteur a extrait ce premier volet d’une trilogie à venir sur la femme.

Ainsi donc Couleur de femmes, l’été. Des incendies bloquent l’autoroute au sud de Lyon. Non loin de là, une aire de repos à l’abandon avec un café et sa cabine téléphonique. Tour à tour, deux jeunes filles, Lola (Marilyne Lagrafeuil) et Elsa (Lydie Marsan) s’y aventurent, cherchant à appeler leurs proches. Elles rencontrent le tenancier du bar, Zek (excellent Emmanuel de Sablet), personnage fantasque, plein d’une tendre agressivité, habité par plusieurs identités familiales remontant jusqu’à un lointain ancêtre bastonné au XVIIe siècle. Il est autant disert sur la vie qu’elles semblent mutiques, enfermées dans leurs secrets. Pourtant, au contact de Zek, elles vont comme accoucher de l’histoire de leurs parents et grands-parents, venus d’Espagne, d’Italie, ou de Hongrie, fuyant les dictatures. Entre boîtes à souvenirs et confidences arrachées à leurs mères (Catherine Eckerle et Patricia Cartier), elles pourront reconstituer leur histoire.

Comme à son habitude, Kazem Shahryari plante un décor unique et dépouillé, fait ici d’un banc, d’une table bar, d’une cabine téléphonique, de cordes et de cette obscurité qui, alliée à une bande-son où alternent chant des cigales et chuintement de ruisseau, nous permet de bien « voir » tour à tour la forêt calcinée, la campagne hongroise, les ateliers de l’usine ou de la soierie lyonnaise…

Ainsi, deux heures durant, trois générations se sont mêlées, ont renoué leurs liens, de dialogues en chant choral, dans ce havre au milieu des incendies de l’été. Leurs histoires réappropriées, Lola et Elsa pourront repartir vers leur avenir. Parce qu’avec Kazem Shahryari, « obligatoirement autour d’une femme il y a un avenir ». Comme celui que porte Lola en son ventre.

Jusqu’au 15 décembre à l’Art studio théâtre, 120, bis, rue Haxo, Paris 19e. Tél. : 01 42 45 73 25. www.artstudiotheatre.org

Jean-Paul Debest, L’Humanité le 10 décembre 2007