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L’État des liens : Atelier 1 + Atelier 2

L’Etat des liens, c’est la volonté de mettre en place une école du spectateur via une équipe d’auteurs-critiques de théâtre. Il s’agit d’organiser trois rencontres entre un groupe de spectateurs et un critique de théâtre autour d’une pièce contemporaine.

Étapes  :
1 - Etudier l’essence de la critique théâtrale, ses règles, son utilité
2 - Voir la création (Couleurs de Femmes l’été)
3 - Ecrire sa critique (son point de vue) sur sa rencontre avec la création.


Atelier 1  :
Jean-Pierre Han  :

Une longue expérience de pratique d’ateliers de critique dramatique, avec des publics très divers, m’autorise à affirmer que le travail effectué à Fontenay-sous-Bois a été humainement l’un des plus riches que j’ai connu. Auprès de personnes peu habituées à l’art théâtral le résultat a dépassé nos attentes.

Le but du stage n’était pas – et n’a jamais été – de produire des textes savants, de longues (et parfois ennuyeuses) analyses sur les spectacles, mais de permettre aux participants de prendre conscience de la valeur de leurs appréciations, de leurs sentiments, et à partir de là d’être en capacité de les exprimer. Tout les y autorise. C’est à eux à prendre la parole et à faire en sorte que les spectacles continuent à vivre. Vaste entreprise de désinhibition : le théâtre appartient à tout le monde, pas à une caste spécialisée.

Preuve magistrale en a été administrée lors du stage à Fontenay. Des personnes ont pu s’exprimer, écrire aussi pour certaines d’entre elles, et rendre de compte du spectacle de Kazem Shahryari, Couleurs de femmes, qui n’est pas un spectacle « facile » comme dit, mais d’une haute exigence aussi bien au plan de l’écriture qu’au plan de sa réalisation scénique. Elles ont pu s’exprimer en toute liberté – s’autorisant même devant l’auteur-metteur en scène à émettre, en toute simplicité et sans aucune agressivité, des réserves pertinentes. D’autres ont fait preuve d’une capacité d’analyse extrêmement fine et subtile. En un sens toutes les personnes se sont approprié ce qui leur appartient, car le théâtre leur appartient. Sans doute certaines d’entre elles en auront pris conscience, et retourneront donc au théâtre voir d’autres spectacles sans aucune appréhension, avec plaisir même, et avec une vraie exigence de qualité, ce qui est vraiment le but recherché.

Pendant que les spectateurs s’installent, sur la scène on voit des personnes aller et venir, telles des fantômes errant dans le décor.
Avant le spectacle, cette entrée en scène des acteurs, masqués, murés dans le silence, dans l’obscurité, des cordes qui pendent et une passerelle installée au fond de l’estrade m’intrigue.
C’est l’histoire de deux jeunes filles, Lola et Elsa, qui au cours du spectacle ne se rencontreront jamais.
Lola entre en scène. C’est l’été, il y a le feu partout sur l’autoroute. Obligée de quitter les lieux, Lola se retrouve sur une aire de repos aux environs de Lyon. A la recherche d’une cabine téléphonique, Lola doit à tout prix téléphoner. Perdue dans ses pensées, Lola trouve un café et rencontre Zek, propriétaire des lieux. Personnage un peu effrayant, son apparition fait sursauter et peur à Lola. Une discussion s’engage.
Zek est un personnage ambigu, on se demande si c’est un être mort ou vivant. Errant dans cette forêt, parmi la fumée, c’est peut être lui qui a mis le feu.
Lola parvient à téléphoner à son ami, et on apprend qu’elle est enceinte. Lola doute de vouloir garder, porter ce bébé.
Zek est là, sur sa route, pour faire comprendre à Lola de se remettre en question. C’est la conscience jouée par Zek. Et Lola reprend par le passé le destin de sa famille. Sa mère Maria, lui racontant le passé du grand-père, Firtos, quittant son pays. Ayant perdu sa fortune, le grand-père décide de changer de vie, d’aller en France. Par le passé, il s’est retrouvé sur la même autoroute où se trouve Lola actuellement.
Tout au long du spectacle, Lola repart dans le passé de ses ancêtres, et revient dans le présent en même temps. L’histoire familiale se transmet de génération en génération. Maria raconte à Lola, les racines, les liens de la famille qui ne se défont jamais.
Lola décide de garder son enfant.
Par cette passerelle, les acteurs entrent en jeu.
Elsa arrive, chargée d’un sac à dos, grimpe sur cette passerelle, comme l’a fait Lola auparavant.
Elle aussi recherche un téléphone, son portable ne fonctionne plus. Une cabine téléphonique est dans le décor, bien à droite de l’estrade. C’est aussi un point clé du spectacle. Une cabine téléphonique, où les deux jeunes filles téléphonent tour à tour sans se croiser, Zek derrière la cabine, écoutant les conversations, sous un halo de lumière.
Zek accueille Elsa, la remet en question sur l’importance de se souvenir du passé de sa famille. Par la pensée, Elsa parle avec sa mère, laquelle ouvre une boîte et les souvenirs en ressortent. C’est l’histoire du grand-père, quittant l’Espagne, pour rejoindre à son tour la France. La souffrance, la jeunesse, le travail à l’usine, les grèves, sont des moments forts racontés par la mère. Sa fille Elsa doit aussi transmettre cet héritage qu’est l’histoire, les liens de la famille, malgré que les douleurs, les pleurs que subit Elsa en ce moment font partie de la vie et que c’est magnifique d’avoir un enfant.
Nous voyons aussi France, la mère de Zek, parlant de son fils avec amour, protectrice envers son enfant.
C’est un spectacle impressionnant. On entre dans le jeu. Ce ballet incessant des acteurs représentant les parents, les fiancés des jeunes filles, l’histoire d’autres couples, des scènes ou les personnages se croisent sans se parler, sans se voir, des retours dans le passé tout en jouant en même temps dans le présent, nous remet aussi en question sur notre histoire.
Zek est impressionnant et omniprésent sur scène. J’ai apprécié ce spectacle, nouveau pour moi, chanté par moment et à certains moments je me suis souvenue de mon enfance. Nos parents nous racontant leur histoire. Les racines resteront ancrées à jamais puisque je transmets la vie de mes ancêtres. Je le dis souvent à mes enfants, c’est important de savoir, raconter d’où nous venons.
C’est l’enjeu de l’histoire, jouée et chantée par des acteurs essayant de nous faire passer ce message, qu’est-ce le lien, pièce créée par Kazem, racontée par des femmes venant de tout horizon.
Que nous soyons d’ici où d’ailleurs, par le monde, la mère transmet des liens. Qu’il ne faut pas oublier d’où nous venons, l’héritage de l’histoire familiale, c’est beau, perpétuer au cours des générations ce lien tissé ne doit pas se rompre.
Je pense que Kazem a monté ce spectacle pour mettre en évidence, d’une part, qu’il a aussi ce lien tissé par sa mère et, par l’autre part, l’humanité que nous possédons, c’est continuer ce qu’il a commencé, et raconter à nos enfants l’histoire de notre propre famille.

Soubida HADJAOUI

Pour ma part, la mise en scène et le décor m’ont beaucoup plu. Les fils qui tombent et le passage des acteurs sur la scène suggèrent le passage du temps et les différents chemins de vie qui s’enchevêtrent.
Le pont symbolise la vie. Chaque être humain passe le pont de la vie, chacun déroule sa trame et surtout les femmes qui doivent accoucher. Il n’est pas toujours facile d’assumer ce rôle et de se sentir mère : avortement, abandon et perte d’enfant, abandon de l’homme, du père, du mari…Ce sont des questions universelles...
La vie est un spectacle. C’est toujours la même pièce qui est jouée, les mêmes sujets que l’on retrouve et qui appartiennent à l’être humain depuis la nuit des temps. Seuls les acteurs changent représentant ainsi le renouvellement des générations.
Concernant la mise en scène, j’ai trouvé le parallèle entre les deux histoires (hongroise et espagnole), le fait qu’elles se déroulent dans le même temps, ennuyeux.
En conclusion, le sujet est amer, douloureux. J’ai trouvé la « vieille » particulièrement douloureuse.
Le spectacle est très bon, le sujet, la mise en scène et les acteurs sont magnifiques.
Félicitations à l’auteur et aux acteurs.

Chaleureuses embrassades.

Téa

Il est intéressant de voir les émotions que la pièce (l’histoire) provoque au niveau des spectateurs.
La pièce commence par le titre « Couleurs de femmes ».
La représentation de la palette des couleurs de femmes.
La pièce a bien reflété le titre.
La découverte des couleurs au fur et à mesure du déroulement de l’histoire.
Les couleurs claires représentent les femmes heureuses, les moments de bonheur.
Les couleurs sombres représentent la déception des femmes.
Les couleurs traversent la vie.
Les hommes sont durs avec les femmes. Ils font la guerre. Les hommes font des enfants sans les élever : « lâcheté ». Les hommes qui souffrent : rater leur vie. Ils rendent responsables les femmes.
La pièce montre le courage des femmes.
Le fil de la vie continue sans fin, comme le fil de soie (grand-mère hongroise). Il est très difficile à obtenir, très beau, très fin, demande beaucoup d’effort.
Plusieurs sortes de fils pour rassembler les mères et les filles. Très significatif de la solidarité entre les femmes.
Différents fils : le téléphone, la communication…
Fils que l’on coupe : avortement, perte d’enfant vivant, abandon forcé
et disparition d’un enfant.
Zek alimente le feu pour revivre les souvenirs. Je pense qu’il a mis lui-même le feu à la forêt.
Souffrance profonde, mais aussi le bonheur de filer le fil (grand-mère hongroise).
La pièce est difficile à suivre. Elle est très philosophique.
Coup de pinceau à droite, à gauche. A la fin, l’image se met en place.
Impressionnisme ? Impression.
L’expression suivre le fil : des fois on le perd !!! Mais on peut le
retrouver ailleurs.
On les comprend ces femmes. Mais il faut continuer à se battre quelques soient les époques, quelques soient les évènements. Tout n’est pas sombre : note d’optimisme.

Atelier 2 :

Fontenay-Sous-Bois

Synthèse

Gérard Da Silva


Et le chant les emporte

Un défilé cagoulé pour début , noir et violet, tout en silence. Rien de concret , rien de tangible, hormis, à gauche, une vieille cabine téléphonique : unique lien au réel. Des sortes de cordes descendent des cintres : arbres de la forêt, arborescences du réel rêvé, qui renvoient à un fond opaque ou transparent, c’est selon, avec une échelle horizontale, balançoire entre deux mondes. Au centre, un cercle comme creusé dans le sol, la scène : une fosse, un café, un abri primitif ?

Des chuchotis, des paroles, des chants solitaires, des chansons communes : voici toute la gamme de la voix humaine. Il y a le fils qui chante toujours : « un homme n’est rien, mille c’est déjà une ville » et entraîne les autres. La mère et la fille chantent en espagnol et dansent : musique d’ailleurs et musique aussi tsigane ou hongroise. Pour toute chaleur, le chant des cigales ininterrompu : taisez-vous. Et pour fraîcheur, le chant du ruisseau.

Ce sont là des flashes back, d’incessants retours vers la mémoire des parents, des grands parents et, avec le fils, retour au fil des siècles. Mais d’une époque à l’autre, et d’un âge à l’autre, il n’est pas sûr de pouvoir différencier et ni les costumes ni les visages, ne les fixent : le fils l’est –il vraiment et la mère est – elle la « vieille » ?

Pour autant, l’espace temps mis en évidence l’est, soit par le devant de la scène (fond sombre avec rideau noir) avec des acteurs bien vivants, soit en fond de scène, avec effet de transparence et de lumière rasante, comme si l’on était dans le monde du passé ou du rêve. Et les deux peuvent se rencontrer.

A la fin tout se rejoint avec les deux figures féminines en blanc, Lola et Elsa, vivantes et le fils et la vieille, derrière, comme étant présents – absents. Et pour la première fois, la lumière envahit le plateau et tous les personnages apparus chantent. Ils se retrouvent tous au centre, ou dans la fosse et se retournent, à nouveau cagoulés.

La fin est dans le commencement. Mais quand la jeune fille se tord la cheville doit –elle le jouer, immédiatement, ou donner la sensation de le jouer pour mieux évoquer une époque révolue ? Certes le rouge est le présent et le noir, le passé. C’est la couleur des femmes, si présentes dans la pièce, alors que les hommes, noirs comme le passé, sont des silhouettes, à l’exception du fils, qui est, lui, à la jonction des temps, de la raison et de la folie…Est- il le personnage qui conduit la pièce et permet d’en suivre l’enjeu ? Le noir est aussi la couleur de la scène morbide entre le fils, Zek, et celle qui serait sa « petite fille » enceinte, prostrée dans la cabine téléphonique. Zek serait, pour ces raisons, le médiateur de l’histoire où se recompose tout ce qui est éclaté. Aucun autre personnage masculin n’a sa présence et sa constance ; ils sont des apparitions. Zek lui – même existe par les femmes rencontrées, soit sa mère (symboliquement) et les jeunes femmes, lesquelles renvoient à leurs propres mères. De fait, les hommes sont absents et ne portent pas l’Histoire et la mémoire vivante…. L’harmonie n’est pas facile entre passé et présent.

Sinon que celui qui vibre et qui vit est Zek : il est plus vivant que les vivants. Pour autant, Lola et Elsa parviennent également à cette identification, spécialement quand elles parlent au téléphone, comme s’il s’agissait de l’unique élément qui demeure du quotidien. Alors elles disent l’essentiel de l’enjeu, pour elles – garder ou ne pas garder l’enfant – et ce sont là des pics où l’émotion se dit, un moment.

« Couleur de femmes, l’été », ce sont des paroles et mémoires de femmes, de différents pays, des témoignages de vies véritables et restituées de sorte que le réel et le rêve, le passé et le présent se croisent comme si rien n’avait été, hormis l’enfant qui vient. Les choix de mise en scène, la froideur bleutée de l’air et de la forêt, sont fort cohérents avec le thème dramatique .De sorte que la gaîté des chants en chœur ne s’impose pas vraiment, contrairement au chant solitaire a capela et mélancolique de la mère qui nettoie le sol d’un balai imaginaire. La complexité néanmoins (des temps différents et des personnages multiples) demeure. Et cela commence avant le début : ces personnages cagoulés sont –ils du monde présent ou ne sont ils pas des apparitions venues du passé ?

Autrement dit, puisque la pièce n’adopte pas une narration chronologique, elle met en relief des thématiques et une réflexion qui transcende le récit avec plusieurs récits en parallèle avec, par profondeur du champ de la scène, des lieux différents et un espace temps différencié, éclaté. En conséquence, il n’y a pas un acteur qui est un personnage, mais un acteur pouvant jouer soit plusieurs personnages ou dans plusieurs plages de temps. Pour autant avec un repérage conducteur (costume, détail de comportement ou d’apparence), l’enjeu de la pièce est clair. Il l’est moins si on bouscule tous les repères à la fois (histoires, temps, personnages différents). Alors la pièce, faute de « fil conducteur » vit surtout par des instants isolés (telle la scène espagnole entre mère et fille) qui touche le spectateur par la simplicité.

Venir et voir ne posent pas de problèmes…jugez est une autre histoire…

S’il n’y a pas de chronologie en ces « Couleurs de femmes », le continu est constitué, pour enjeu conducteur, des oppositions atemporelles, terme à terme : l’eau et le feu, le présent et le passé, le bruit et le silence, la lumière et le noir, le chanté et le parlé, et également le maternel et le filial (sans père)…Et la vie et la mort avec ces apparitions venues de la mémoire et toutes ces existences effacées et réapparues, en ce lieu de l’écart le plus proche et le plus lointain. Et, aussi révélatrice, l’opposition qu’il n’y a pas : le bien et le mal. C’est au spectateur actif de choisir car rien n’est prononcé, d’entendre le chant de la vie qui vient, au-delà de la parole des spectres et qui les emporte tous, vivants et morts, en une danse qui n’est pas marquée du septième sceau, une danse et un chant qui demeurent couleur d’été. Et le chant les emporte…

Fontenay sous Bois

Novembre 2007