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Alain LEFEVRE

Coup de coeur au théâtre - 2001

Au revoir et bonjour Monsieur Brecht

Gérard Astor, directeur du théâtre Jean-Vilar de Vitry-sur-Seine, présente en première création dans sa programmation 2000-2001 Au revoir et bonjour Monsieur BRecht, texte et mise en scène de Kazem Shahryari, les 28, 29 et 30 janvier 2001. Le spectacle sera repris à Paris par l’Art Studio Théâtre du 5 au 17 février, 120 bis rue Haxo dans le 19e arrondissement. Avec audace, humilité et force, le metteur en scène veut certainement mettre un terme au résistible déclin de l’oeuvre de Brecht et particulièrement à l’akylosement de Grand peur et Misère du IIIe Reich : "L’idée est que Brecht soit présent, que l’Allemeagne soit présente à travers mon parcours artistique. Il ne s’agit pas de faire un documentaire sur l’Allemagne. C’est l’Allemagne à travers mes filtres".

Les filtres du poète

Sans aucun doute l’opération poétique de filtrage donne à voir et à entendre une oeuvre fossilisée par les brechtiens dogmatiques trop fidèles à la lettre et si peu à l’esprit de Brecht. C’est un retour au sens de Brecht que prône le metteur en scène. C’est un pari d’autant plus audacieux que l’on sait que la vestale de l’oeuvre qui en est l’héritière testamentaire, Barbara Shall-Brecht, la fille intraitable, a des idées fixes au sujet de la fidélité envers l’oeuvre : "On peut faire des coupes, mais j’interdis de mélanger des textes de Brecht entre eux, ou avec des textes d’autres auteurs". Si Kazem Shahryari rend l’oeuvre vivante, peut-on pour cela écrire dans les trous de celle-ci ? Certains, d’autre part, lui reprocheront certainement de considérer le fait concentrationnaire d’extermination des juifs en tant que structure de la souffrance de l’humanité depuis la nuit des temps. Il le fait en poète et pas en historie ni en idéologue. Le poète est dans le monde avec ses pieds et c’est avec ses pieds qu’il pense.

Dans la poésie il y a du réel en jeu

Kazem Shahryari écrit un poème scénique nourri de tous ceux qu’il aime tant. Il s’inscrit plutôt dans la lignée des révoltés célestes. Ici, nulles grilles, mais des voiles blancs et la position dite du musulman selon Bruno Bettelheim. Est-ce une allégorie féconde ? Un dispositif théâtral ? L’extermination existe dans nos têtes comme une cicatrice, une tension. Dans l’image, il y a du réel en jeu. C’est au-delà d’elle que chemine le poète. Au-delà de la mémoire gît la souffrance. Au-delà du souvenir. Sur l’écran que voit-on ? On y voit une concentration de femmes dans un camp nazi d’extermination des juifs. On y vit la vie quotidienne des femmes humiliées qui triment jusqu’à la mort. Les comédiennes, Dany Kugan, Carinne Noury, Natalia CEllier, Flor Lurienne savent y faire avec leurs corps et leurs voix avec ce qu’il faut d’émois, de silences et de distance.

Des formes inconnues et inouïes

Quelques ouvriers viennent travailler dans le secteur des femmes. Un amour se noue comme la corde du pendu. Edouard et Liora sont condamnés à mort s’ils demeirent ici. Ils s’enfuient. On les ratrappe. Ils s’étaient promis de se donner la mort s’ils étaient repris. L’Ange et un prisonnier remplacent Liora et Edouard. Ce couple merveilleux se fait prendre à leur place et se sacrifie pour qu’ils vivent. Au dernier acte, le couple est un seul corps. l’homme ne voit plus et la femme ne marche plus.
Ainsi la mémoire poétique laisse surgir des formes inconnues et inouïes. Les comédiens, Nathaniel Baruch, Paul Soka, tentent de soutenir la hantise des visions et fonnent aux images, aux paroles, au fil du récit, une vérité blessante à force de vous prendre au dépourvu. La pièce est ponctuée des différents appels que l’homme masqué embourbé de glu reçoit de 1940 à nos jours.

De l’archéologie de la mémoire surgit le bruit de la vie

L’espace scénique se tient sur les gradins d’un théâtre. Les chariots du labeur y circulent. Où est l’entrée ? La sortie ? Où sont les passes ? Un film est projeté sur l’espace scénique et au fond sur un voile blanc. Des bâches couvrent les degrés et les passes se font à la mort à la vie. L’espace est hanté par un bon ange qui les voudrait sauver. Et les images fragmentées crépitent. Ces sont des images des camps entrecoupées de champs en fleurs, de ciel étoilé, de documents d’archives. Le poète file dans l’espace et sur la terre. Le peintre dessine une archéologie de la mémoire, entrelacs et strates d’images et de plans qui se chiasment. Trois plans se mesurent dans l’espace, côté jardin celui de l’homme masqué duquel surgira une femme qui danse, côté cour et central les personnages du camp, de façon autonome pendant tout le spectacle. Entre poésie et archives historiques se situe l’autre scène qui cherche à cerner comment aider à guérir la vie à la manière pulsionnelle d’Artaud qui écrivait : "C’est dans son espace hanté que les choses trouvent leurs figures, et sous les figures, le bruit de la vie".

ALAIN LEFEVRE

Une coproduction du théâtre Jean-Vilar de Vitry-sur-Seine et de l’Art Studio Théâtre de Paris.