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Broyé par l’histoire
Mon Général[1] de Marcel Zang est une œuvre dérangeante qui dépeint la relation complexe, névrotique, ambigüe, désabusée, cynique entre la France et ses colonies, mise en scène par Kazem Shahryari, exilé iranien en France. Paris, années 70 : Afrique,
Africains, guerre d’Algérie, anciens combattants, général de Gaulle, indépendances, utilitarisme migratoire, Blancs, Noirs, sexe,
impuissance, Amour.Comme son père « tirailleur sénégalais », le Camerounais Augustin, dit « Mon Général », voue un véritable culte
au général de Gaulle. Il vit entouré de ses portraits dont les discours lui servent même de stimulant en cas de panne sexuelle. C’est cet
amour qui le conduira dans une France fantasmée où il ne trouvera que déception et déchéances, jusqu’à cette dernière scène
hallucinante et grotesque dans laquelle ses ami(e)s (barbier, prostituée, proxénète, intellectuel), affublé(e)s de manches à balai
dérisoires, le soutiennent dans sa folie, lors d’un dîner extorqué le jour de paye. On assiste avec un certain malaise à une tentative
pathétique de retrouver un semblant de dignité, militaire, autoritaire. Terrible.Destin tragique d’un être broyé par une histoire dont il
n’a pas conscience. Les « bas-fonds », avec ses personnages misérables et touchants, marqués par la solitude, la débrouille, la
recherche d’argent pour survivre. Seul Saïd, le collègue algérien d’Augustin à l’usine, tentera vainement de lui ouvrir les yeux sur la
réalité politique et sociale : Setif, Guelma, la colonisation, l’exploitation des OS.
Scénographie intelligente rythmée d’apparitions musicales, sous le regard omniprésent du masque, en miroir de la performance
d’ouverture de la pièce, ballet étrange et envoûtant qui accueille les spectateurs(trices) dans la pénombre.
Traumatisme d’une mémoire confisquée, négation d’une vie de misère et de souffrances, manipulation de l’histoire, c’est tout ça aussi
Mon Général. Rêves, douleurs, frustrations quand le présent est construit sur un mensonge.
Un spectacle étonnant, porté par des comédien(ne)s enthousiastes et sensibles, entre rire et larmes, qui convoque musique, danse,
texte, document.
Pour celles et ceux qui n’ont pas eu la chance de le voir, souhaitons que de prochaines représentations soient très bientôt
programmées, car une pièce de Marcel Zang, auteur et dramaturge reconnu, c’est toujours un événement à la portée politique et
artistique indéniable.
Gisèle Felhendler